C’est l’histoire d’une pétition Paroles de Femmes, qui a été rédigée sur un coin de table un soir, en pleurant, et qui est aujourd’hui signée par plus de 71 516 personnes et d’importantes personnalités à tel point qu’elle est devenue soudain l’enjeu d’une affaire nationale, voire internationale
Je le rappelle Paroles de femmes est composée de toutes les nationalités. Pendant quelques années, j’ai laissé ce combat féministe à d’autres femmes pour me consacrer aux personnes autistes et aux mamans d’enfants autistes, ce qui est également un combat féministe. Sidérée par le silence des organisations féministes françaises, j’ai repris activement cette militance féministe pour réveiller les consciences. Tout ce j’écris est vérifiable.
Commençons par la genèse. Le 8 octobre, je lis un article de Liel leibovitz, journaliste israélien qui parle des viols commis sur les femmes lors de ce massacre, la veille, au festival Nova et aux Kibboutz. C’est la sidération. Le 10 octobre, je relate ce qui vient de se passer en Israël dans une lettre publiée dans Tribune juive, et mets l’accent sur les femmes tuées et violées. Je contacte un ami sauveteur qui me raconte la façon dont ils ont retrouvé les corps. Horrifiée, je comprends que les femmes ont subi des viols et ont été tuées de façon spécifique. Je contacte des journalistes et des diplomates ainsi que le bureau de presse du gouvernement israélien afin de demander des preuves, des témoignages, des photos, des vidéos. J’ai travaillé pour la Presse juive, je dispose de tous ces contacts. On me répond que c’est trop tôt et qu’Israël ne veut pas communiquer sur ce sujet. La guerre est en route. Je continue à batailler, malgré tout, et reçois quelques éléments qui me permettent de recouper mes sources. Je collecte tout ce que je trouve dans la presse israélienne ou dans les déclarations du porte-parole de l’Armée. Je considère qu’il y a suffisamment de faisceaux de preuves pour commencer à en parler, et à inciter d’autres journalistes et ONG à enquêter davantage. Je n’ai plus aucune rédaction derrière moi, je suis une journaliste indépendante.
Je décide d’alerter les associations féministes et les Instances internationales sur ces viols et féminicides commis sur les femmes. Certaines me disent qu’elles craignent des représailles, d’autres m’envoient balader en me disant que les Israéliens l’ont bien cherché, d’autres encore ne me répondent même pas, je ne me décourage pas.
Je contacte une ancienne militante de Paroles de femmes, experte des droits des femmes, Yaël Mellul, en lui demandant si elle accepte de relayer mon appel en France, puisque je vis en Israël depuis deux ans. Elle accepte et devient Porte-Parole en France de cette campagne.
J’évoque ce sujet le 12 octobre dans un tweet : « Libérez nos sœurs, violées, torturées, tuées… » et le termine en parlant du « silence des féministes ».
Choquée par une tribune de plusieurs associations féministes dont des comités de « Nous toutes », je leur réponds dans une première tribune, le 31 octobre co-signée avec Alain Beit, président de Beit Haverim. Diffusée dans Tribune juive, ce texte est repris le 1er novembre par Atlantico, le 5 novembre par le Times of Israël. J’écris un autre texte sur le même thème le 5 novembre dans mon blog de Médiapart.
Le 7 novembre, Paroles de femmes est de nouveau en route en France comme en Israël. Nous ne sommes pas nombreuses, juste un noyau de 10 militantes. Nous envoyons un communiqué aux personnalités politiques et médiatiques, afin de leur demander de signer un communiqué pour la reconnaissance des viols et d’un Féminicide de masse. J’appelle chaque artiste, tous les jours. Certains d’entre eux acceptent : Charlotte Gainsbourg, Marilou Berry, Isabelle Carré, Sandrine Rousseau, Anne Hidalgo…D’autres refusent. Nous passons des heures et des heures à les appeler et à les convaincre une à une.
Mais toujours aucune nouvelle des féministes.
Le 8 novembre, notre pétition est publiée sur Change.org.
Le 9 novembre Yaël Mellul à qui j’ai demandé de nous représenter, est invitée sur le plateau de Laurence Ferrari sur CNews. Son passage est très relayé et partagé massivement. Le 10 novembre, notre pétition sort dans Atlantico et Libération puis est reprise dans toute la presse (Figaro, Figaro Madame, Elle, Marie-Claire…). Je suis l’auteure de ce texte mais étrangement je deviens une simple signataire dans libération.
Pendant toute cette période, nous menons un travail considérable de sensibilisation et d’informations, nous travaillons jour et nuit, pour ces femmes violées, tuées ou en otages. Nous n’avons aucun autre intérêt, à part la vérité des faits et la mémoire de ces femmes.
Nous contactons les associations féministes, les personnalités, les journalistes (Médiapart, le point, le Figaro, Atlantico, le JDD, le parisien, RTL, BFM, I24news…), l’AFP avec lequel nous bataillons pour obtenir un communiqué de presse. Un journaliste me rappelle et nous demande de lui fournir les preuves de nos allégations. Grâce à mon métier, j’ai collecté tous les articles mais je suis stupéfaite par sa demande puisqu’ils disposent de plusieurs journalistes sur place. J’insiste. Ils envoient finalement une journaliste sur place, une dépêche est publiée. Le journaliste ne nous cite pas. C’est injuste pour le travail effectué mais pas important. Nous continuons. Nous écrivons à l’ONU femmes, à Amnesty internationale que nous avons deux fois au téléphone. Eux-aussi nous demande des preuves. Nous continuons à collecter. Nous écrivons à la presse internationale pour les mobiliser.
Le 10 novembre, La Fondation des femmes signe un tweet en condamnant ces viols et féminicides perpétrés en Israël, sans nous citer. Nous les félicitons mais elles ne signent toujours pas notre pétition.
Le sujet commence à monter dans les Médias du monde entier, des groupes arrivent de toutes parts. La communication est intense. Notre pétition est traduite en italien et en espagnol…Mais ce n’est pas assez.
Des journalistes du Point nous interview et nous mentionnent dans leurs papiers mais sans publier mon interview.
Notre action génère des réactions vives. Nous ne savons pas où nous avons mis les pieds. Nous recevons des insultes sur les réseaux sociaux de la part de féministes. On nous traite de : « blanches, bourgeoises, sionistes d’extrême droite ». Nous sommes désignées lors d’une manifestation propalestinienne par un groupe féministe. On nous accuse de faire de la propagande et de travailler pour le « gouvernement israélien ». Nous tombons dans les pires clichés antisémites, je suis juive, ma porte-parole également, donc nous sommes des agents sionistes. Média TV nous attaque violemment en nous citant nommément dans une tribune et nous accuse une nouvelle fois d’être des porte-parole du gouvernement israélien. Nous leur écrivons pour un droit de réponse, aucune nouvelle.
La marche du 25 novembre, journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes, arrive à grands pas.
Tout d’abord, nous décidons d’y aller pour défiler avec les photos des femmes israéliennes mais une association du comité organisationnel nous explique que cela mettrait en danger les militantes et les enfants présents. Les débats dans ce comité sont houleux. L’interorga est fracturée en deux. La peur gagne les militantes qui nous proposent de venir mais sans panneaux. Nous refusons et nous décidons de ne pas participer à la marche, même si certaines personnes nous incitent à le faire. Nous le faisons savoir dans une tribune accompagnée d’un dessin signé par Glon, que nous envoyons à différents Médias.
Atlantico et Cnews sont les seuls à en parler. Tout est largement repris sur les réseaux.
Nous écrivons un premier courrier à Mme la ministre Bérangère Couillard en copie avec le ministère de l’Intérieur pour prévenir de ce danger encouru par Paroles de femmes, de cette impossibilité de manifester à cause de la présence de collectifs féministes radicaux. Nous leur faisons part de nos craintes. Aucune nouvelle.
Le 21 novembre : Lors d’un passage sur LCI, Caroline Fourest, conteste le mot « féminicide » de notre pétition devant le journaliste David Pujadas. Elle préfère employer le terme de « pogrom islamiste ». Notre réaction est immédiate sur les réseaux puisque nous travaillons déjà sur la saisine de la Cour pénale internationale avec des avocates françaises et israéliennes, des professeures de droit, des criminologues, et politologues. Nous demandons un droit de réponse à David Pujadas pour expliquer notre action à la CPI, il ne répond même pas. Nous tentons de la contacter, elle ne répond pas.
Le 23 novembre, Les guerrières de la paix signent notre appel.
La journaliste Laurence Ferrari de Cnews réinvite Paroles de femmes. Yaël Mellul exprime notre décision de ne pas participer à la marche du 25 novembre.
Le 25 novembre : Je suis interviewée quelques minutes par I24news et coupée en plein milieu d’une phrase. Les Mariannes de la diversité font une tribune pour reconnaitre les viols et meurtres de femmes en Israël et nous rejoignent. Me too Médias signe notre tribune. La ministre Berengère Couillard annonce reconnaitre les viols commis en Israël, le mot féminicide a disparu.
Les choses avancent dans le milieu féministe. Le collectif « Nous toutes » produit un communiqué et reconnait les viols et féminicides perpétrés en Israël. Je propose un zoom entre toutes les associations pour recommencer à lutter ensemble pour toutes les femmes, sans qu’aucune ne soit exclue par sa couleur de peau, sa religion, sa nationalité. Quelques associations acceptent.
Nous décidons donc de créer une commission de femmes franco-israélienne sur le sujet avec des femmes « libres » et « non inféodées à des institutions religieuses et politiques ». La pétition a été traduite dans plusieurs langues et continue. Nous sortons de ce jeu, nous ne sommes pas des pions mais des Paroles de Femmes libres. D’autres combats nous attendent. L’ONU Femmes France accepte un rendez-vous avec Paroles de Femmes, l’UNWomen Femmes signe un communiqué reconnaissant ces atrocités. Autant de victoires collectives qui montrent que la militance fonctionne.
Des manipulations, harcèlements, intimidations diverses suivront d’un côté pour nous faire taire, de l’autre pour récupérer notre combat et aussi nous faire taire.
Voilà c’était l’histoire d’une pétition et de la difficulté d’être une véritable militante féministe en France en 2023.
Olivia Cattan, Présidente de Paroles de Femmes.